Depuis plusieurs semaines, le retour du duel Macron/Le Pen au second tour ne rassure pas certains électeurs. Le « vote utile » est au cœur de la réflexion des citoyens, qui avaient souhaité faire barrage aux deux candidats.
Vingt ans plus tard, les médias réutilisent à nouveau la notion de « vote utile ». Lors de cette campagne 2022, la première personne à utiliser le terme était Ségolène Royal. Invitée de BFMTV le 16 février dernier, cette dernière avait exprimé « aujourd’hui, il est évident que le vote utile à gauche, c’est Jean-Luc Mélenchon. »
Le « vote utile » a tout d’abord été utilisé par les politologues de l’université de Bruxelles Gael Brustier et Fabien Escalona en 2002. Le terme a émergé dans langue française lors de l’élimination du candidat socialiste Lionel Jospin au premier tour, pourtant favori dans les sondages. Au second tour, afin de ne pas laisser le pouvoir à Jean-Marie Le Pen, une grande partie des électeurs de gauche avaient voté « utile », en soutenant Jacques Chirac. C’était la première fois que le Front National se qualifiait pour le second tour, c’est pourquoi une partie des électeurs ont souhaité reconsidérer leurs pratiques de vote.
Voter « utile », c’est quoi exactement ?
Voter « utile », c’est choisir le moyen de vote le plus stratégique. Il s’agit alors de voter pour le candidat qui aurait le plus de chance de l’emporter, plutôt que de mettre dans l’urne le nom de son candidat favori. Cela permettrait d’empêcher des victoires non souhaitées. Pour cela, il faut savoir mettre de côté ses préférences politiques. Marcel Foucault indique dans Le Monde que seulement un tiers des électeurs choisiraient le vote stratégique.
Cette logique de vote est très peu appréciée des candidats minoritaires, qui perdent davantage de leurs électeurs qui s’allient pour soutenir le « meilleur » candidat. Le mathématicien Rida Laraki explique qu’à partir de ce concept, « voter honnêtement, c’est devenu risqué ».
Les candidats appellent surtout les abstentionnistes à voter « utile ». Certains des candidats favoris dans les sondages argumentent sur cette notion dans leur clips de campagne afin d’assurer aux électeurs une victoire haut la main. C’est donc une notion qui s’oppose au vote sincère, et qui implique un grand niveau de réflexion sur la situation politique.
Au fil des années, l’observatoire des médias Acrimed a fait le compte sur le nombre de fois où le « vote utile » a été évoqué dans la presse. Entre septembre 2001 et avril 2002, il n’avait été utilisé que 39 fois, contre 1075 fois entre septembre 2006 et avril 2007. Pour la présidentielle de 2017, c’est 1503 fois, un chiffre qui n’a cessé de croître jusqu’aujourd’hui en période d’élection.
Jean Luc Mélenchon a fait ressurgir les débats
Quelques jours avant l’élection présidentielle de 2022, Jean-Luc Mélenchon, candidat de la « France Insoumise » a été désigné comme le candidat de gauche qui aurait le plus de chances de l’emporter, en empêchant d’avoir un second tour similaire aux élections de 2017. Le candidat, invité de BFMTV s’est lui-même exprimé sur le sujet « Je n’aime pas le mot vote utile car j’en est souffert dans le passé, lorsqu’il m’était opposé. Je trouvais ça un peu dur parce que le vote inutile n’existe pas. Chacun déploie une conviction et met un bulletin de vote pensant à l’intérêt du pays. Je préfère parler de vote efficace. » Pourtant, le candidat a obtenu ce dimanche seulement 1,2 % de moins que la candidate du Rassemblement National Marine Le Pen, qualifiée pour le second tour.
Une partie des électeurs écologistes ont renoncé cette semaine à Yannick Jadot, en glissant un bulletin Mélenchon dans l’urne, ayant l’espoir qu’un candidat haut dans les sondages puisse se pencher de plus près aux questions climatiques. A présent, Yannick Jadot devra rembourser lui-même sa campagne, car il n’a pas pu atteindre 5 % des voix, délaissé par certains de ses partisans. Le manque de débat au premier tour des élections aura rendu la tâche plus difficile pour des électeurs qui se sont contentés de lire les programmes en ligne, de regarder les sondages, et quelques reportages ce qui n’a pas pu guider énormément certains sur leurs préférences.
Cette année, les sondages n’auront pas mesuré l’ampleur du « vote utile ». Mettant davantage en avant Éric Zemmour, et Valérie Pécresse, les chiffres ne prédisaient pas que les trois premiers candidats recueilleront ce dimanche 73% des suffrages. Pour Jean-Luc Mélenchon, les cinq sondages publiés le 8 avril plaçaient le candidat LFI entre 16,5 % et 17,5 % des intentions de vote, une sous-estimation des votes stratégiques.
Le « vote utile » sert à présent d’excuse à chaque candidat n’ayant pas franchi la barre des 5%. Pour le candidat communise Fabien Roussel, « il n’y a rien de pire que le vote utile. » Le débat restera pour le premier tour une grande interrogation, entre vote de cœur et vote stratégique, ou alors légitimité ou injustice.
Reconnaître le vote blanc, un combat à part
Hormis le fait de devoir choisir un candidat parmi d’autres, certains préfèreraient que leur vote blanc soit reconnu. Cette année, les votes blancs et nuls ont représenté 26,31 %, soit environ 4% de plus qu’en 2017. Ces votes se distinguent de l’abstention, car l’électeur se déplace tout de même pour aller voter. Bien qu’ils soient rendus publiques, et comptabilisés, les votes blancs n’ont pas vraiment d’utilité. Olivier Durant, président de l’association pour la reconnaissance du vote blanc depuis 1994, a lui-même jugé la loi de 2014 qui comptabilise ce vote comme « inutile ». Cette année, la moitié des candidats se sont dit favorables à la prise en compte du vote blanc en tant que suffrages exprimés. Parmi eux : Yannick Jadot, Jean Lassalle, Nicolas Dupont-Aignan, , Anne Hidalgo, Jean-Luc Mélenchon et Nathalie Arthaud. Une solution qu’Emmanuel Macron juge « trop facile » car en démocratie, « il faut choisir le moindre mal ou le mieux possible. »