En l’espace de dix jours, après la mort de Mahsa Amini, l’Iran a vu se développer un mouvement de contestation inédit depuis les manifestations de 2019.
« Nous allons mourir, nous allons mourir, mais nous allons retrouver l’Iran » scandait une foule de manifestants réunis dans une ville du nord de l’Iran dans une vidéo diffusée par un compte Twitter spécialisé dans le suivi des manifestations. Depuis la mort de Masha Amini vendredi 16 septembre, arrêtée pour « port de vêtements inappropriés » par la police des moeurs le 13 septembre à Téhéran, un mouvement de contestation à l’égard de la République islamique se développe rapidement en Iran, brandissant la jeune femme de 22 ans, originaire du Kurdistan comme un martyr.
La colère est partout en Iran depuis la mort de Mahsa Amini, tombée dans le coma alors qu’elle était détenue avec d’autres femmes par la police des moeurs, censée faire appliquer un code vestimentaire très strict. Les femmes doivent se couvrir les cheveux et ne sont pas autorisées à porter des manteaux courts au-dessus du genou, des pantalons serrés ou des jeans troués.
Le père de la jeune femme a déclaré que sa fille n’avait aucun problème de santé, contrairement aux affirmations de la police iranienne, qui nie lui avoir infligé des mauvais traitements. Elle serait morte à l’hôpital après avoir reçu un coup mortel à la tête, selon des militants mais les responsables iraniens ont démenti ce fait et ont annoncé une enquête.
Sur le devant de la scène internationale
L’évènement tragique a provoqué de multiples condamnations dans le monde tandis que les organisations non gouvernementales internationales ont condamné une répression violente des manifestations et que le président iranien a promis une enquête.
« Chaque jour, dans de nombreux pays, et notamment aux Etats-Unis, des hommes et des femmes meurent lors d’affrontements avec les forces de l’ordre, mais peu de gens s’émeuvent des raisons derrière ces violences et de la réponse qui y est apportée« , déclarait le président iranien.
Ali Khamenei est lui-même la cible des slogans scandés par les militants qui promettent que son fils Mojtaba, pressenti comme le successeur du guide suprême, mourra avant de le devenir à son tour.
Le président iranien a déclaré jeudi qu’il était impossible d’accepter des « actes provoquant le chaos » alors que les manifestations qui ont suivi le décès de Mahsa Amini continuent. L’appareil répressif iranien fait passer le message qu’il est prêt à endiguer plus sévèrement les manifestations pour protéger le régime islamique.
Une colère qui embrase de plus en plus de villes
Une tel mouvement de contestation est sans précédent en Iran depuis les manifestations de 2019, lorsqu’une partie de la population s’était mobilisée dans la rue pour contester l’augmentation du prix des carburants.
Au départ limité au nord du pays, où vit une importante population kurde, le mouvement de septembre a essaimé dans d’autres parties du pays et concerne désormais une cinquantaine de villes au moins, dont la capitale, Téhéran.
Des commissariats de police et des véhicules des forces de l’ordre ont été incendiés dans plusieurs villes iraniennes, à Téhéran notamment, lors des manifestations. Dans le nord-est du pays, un membre des Bassij, une force paramilitaire iranienne sous la tutelle spirituelle de l’ayatollah Ali Khamenei, a été abattu.
Les agressions et les assassinats se multiplient, d’un côté comme de l’autre, ce qui pousse les manifestants et les autorités à s’accuser mutuellement et à se renvoyer la balle. Dans un contexte de violence effervescente, il apparait difficile de démêler le vrai du faux, chaque parti tentant de surévaluer ses pertes.
Selon l’agence Tasnim affilié à la République islamique, un soldat iranien a été tué mercredi à Qazvin par arme à feu par « des émeutiers et des criminels« , portant à quatre le total de membres des forces de sécurité tués depuis le début de la contestation. Selon l’organisation kurde de défense des droits de l’homme Hengaw, le bilan humain dans la zone du Kurdistan iranien s’élève à 12 morts. Les forces de sécurité réfutent avoir tué un seul d’entre eux et mettent ces décès sur le compte de dissidents armés.
Un pays déconnecté
« La liberté d’expression existe en Iran (…) mais les actes provoquant le chaos sont inacceptables« , a annoncé le chef d’Etat iranien la semaine dernière. Si Ebrahim Raïssi proclame la liberté d’expression, il n’en reste pas moins que les Gardiens de la révolution ont demandé jeudi à la justice iranienne de poursuivre « ceux qui répandent des fausses informations et des rumeurs », sous-entendu les manifestants.
Faute de voir le mouvement s’apaiser, les autorités ont décidé de restreindre l’accès à internet et aux réseaux sociaux dans l’espoir de limiter la propagation des manifestations, affirment Hengaw, ce que NetBlocks, un site spécialisé dans le suivi des coupures internet, semble confirmer. En 2019, lors de précédentes coupures d’Internet, 304 personnes avaient été tuées par la police, selon l’ONG Amnesty International.
Le réseau internet était encore très perturbé ce vendredi dans la République islamique, avec le blocage de WhatsApp et Instagram, tandis que Washington a annoncé des mesures « pour soutenir l’accès des Iraniens à la libre circulation de l’information ».
Dans la journée, le gouvernement américain a déclaré la levée des interdictions commerciales avec l’Iran pour que les entreprises fournissent des plates-formes et des services permettant aux Iraniens d’accéder à internet. Cette annonce intervient quelques jours après que le propriétaire de SpaceX, Elon Musk, a annoncé qu’il comptait obtenir une suspension des sanctions contre l’Iran auprès de l’administration américaine afin d’y proposer les services de connexion à internet via sa constellation de satellites Starlink.
Les nouveaux dispositifs « aideront à contrer les efforts du gouvernement iranien pour surveiller et censurer ses citoyens », s’est exclamé le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken avec joie. « Le gouvernement iranien a peur de son propre peuple », a-t-il ajouté.
Un contre-rassemblement
En réaction, un contre-rassemblement a éclos. Devant l’université, les partisans du port du voile obligatoire ont fait entendre leur voix en brandissant le drapeau iranien et des pancartes de soutien et de remerciements aux forces de l’ordre.
« Prôner la fin du voile, c’est la politique des Américains ». Voici un exemple de slogan scandé par les contre-manifestants. Faisant l’éloge des « efforts et les sacrifices de la police », l’armée idéologique de la République islamique, a assuré que la « conspiration de l’ennemi » serait « vouée à l’échec ».
Depuis le début des manifestations, 739 militants ont été arrêtés, d’après les autorités. Selon un nouveau bilan de l’ONG Iran Human Rights, communiqué dimanche 25 septembre, 54 civils ont été tués en Iran pour protester contre la mort de la femme-martyr.