Hier, Elisabeth Borne a engagé l’article 49.3 de la Constitution pour faire adopter le projet de loi de finances 2023, sans avoir recours à un vote à l’Assemblée nationale. Mais alors, c’est quoi le 49. 3 ?
C’était l’article qui cristallisait toutes les tensions au sein de l’Assemblée nationale depuis plusieurs semaines : le fameux article 49 alinéa 3 de la Constitution. Hier, dans l’hémicycle, le suspens a été brisé par Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement qui a dégainé l’article constitutionnel.
« Au moment où nous parlons, au sixième jour de débat, bon nombre d’amendements sont encore à examiner. Et tout indique que nous ne tiendrons pas les délais prévus pour la discussion de cette première partie du PLF [projet de loi de finances]. Ensuite et surtout, les oppositions ont toutes réaffirmé leur volonté de rejeter le texte. », s’est justifié la Première ministre à la tribune. Et d’ajouter, « cette décision, ce n’est pas la fin du débat sur le projet de loi de finances pour 2023. Ce débat continuera, au Sénat, comme à l’Assemblée nationale. »
L’alinéa, il dit quoi au juste ?
L’article 49.3 fait partie du « Titre V » de la Constitution de 1958. Ce chapitre, qui s’étend des articles 34 à 51, met en place un ensemble de dispositions censées réguler les « rapports entre le Parlement et le gouvernement ». Parmi ceux-ci, donc, le fameux 49.3, qui dispose que :
« Le premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. »
Concrètement, le conseil des ministres peut décider seul de l’adoption d’une loi sans passer par le Parlement, mais seulement une fois par session parlementaire pour un autre projet de loi.
Dans quelle situation peut-il être utile de le dégainer ?
Le 49.3 est utilisé lorsque les débats s’enlisent à l’Assemblée nationale ou que le gouvernement veut faire passer une loi dans l’urgence. C’est souvent un aveu de faiblesse face au Parlement, et un outil pour affirmer la primauté de l’exécutif. « L’expérience a conduit à prévoir, en outre, une disposition quelque peu exceptionnelle pour assurer, malgré les manœuvres, le vote d’un texte indispensable », considérait Michel Debré, un des auteurs de la Constitution, à propos du 49.3, en faisant référence à la lenteur des prises de décision sous la IVe République.
C’est, en somme, un recours ultime pour le gouvernement face à l’hésitation des députés. Son utilisation a été critiquée à maintes reprises, notamment par François Hollande, qui déclarait en 2006, alors qu’il était premier secrétaire du Parti socialiste : « Le 49.3 est une brutalité. Le 49.3 est un déni de démocratie. »
Comment les députés peuvent-ils répondre ?
La Constitution française ne laisse pourtant pas l’Assemblée totalement démunie face au 49.3. Si l’article « engage la responsabilité du gouvernement », c’est que l’Assemblée peut s’y opposer en adoptant une motion de censure.
Cette motion de censure doit être déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent le recours au 49.3 et doit être signée par au moins un dixième des membres de l’Assemblée nationale, soit cinquante-huit députés.
Le vote de cette motion de censure doit avoir lieu dans les deux jours suivant son dépôt et seuls les votes en faveur de la motion sont comptabilisés lors du scrutin. Pour être adoptée, la motion doit recueillir une majorité d’approbation, soit le vote de deux cent quatre-vingt-neuf députés.
Toutefois, si une telle motion de censure était déposée, puis adoptée, elle renverserait le gouvernement. Celui-ci devrait alors démissionner et le texte serait rejeté. Dans les faits, jamais l’utilisation du 49.3 n’a abouti à cette situation.
Comme prévu, la Nupes, emmenée par Mathilde Panot, a déposé sa motion de censure.
« Nous refusons de nous habituer à la méthode du 49.3 », a déclaré la présidente du groupe parlementaire.
Si la motion de censure est votée, la loi est rejetée et la Première ministre devra démissionner. La motion de censure déposée par la Nupes, déplorant la « brutalité » du gouvernement, a d’ores et déjà recueilli 151 signatures, ce qui est amplement suffisant pour officialiser la motion.
Le Rassemblement National, opposition d’extrême droite, va lui aussi en déposer une. « Le gouvernement est perdu et ne sait pas où il mène le pays », a déclaré à la presse Jean-Philippe Tanguy, son vice-président.
Peut-on l’utiliser souvent ?
Souvent considéré comme une mesure d’exception, le recours au 49.3 fut pourtant fréquent sous la Ve République, quatre-vingt-cinq fois depuis 1958. Le record est détenu par Michel Rocard, à l’époque minoritaire à l’Assemblée, qui fit usage du 49.3 à vingt-quatre reprises durant ses trois années en tant que premier ministre de François Mitterand, entre 1988 et 1991.
Toutefois, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le 49.3 ne peut être utilisé « que pour un seul texte par session parlementaire », hors projets de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale.