Au Brésil, le second tour de l’élection présidentielle se déroule ce dimanche 30 octobre, où plus de 155 millions d’électeurs sont attendus aux urnes. Lula est annoncé favori face à son rival Bolsonaro selon les sondages, après une campagne électrique, sous haute tension.
L’heure du deuxième tour des élections a sonné. Ce dimanche, la population brésilienne va enfin pouvoir élire son nouveau président. Après un entre-deux-tours long et éprouvant, dans un climat extrêmement tendu.
Deux grandes figures s’opposent : d’un côté Lula, personnalité politique incontournable de la gauche, leader du Parti travailleur qu’il a fondé en 1980, face à Jair Bolsonaro, Président populiste sortant, à la tête du pays depuis le 1er janvier 2019.
De la prison aux élections pour Lula, un sombre mandat pour Bolsonaro
Ce premier a dû cravacher pour vêtir la casquette de favori des élections. Personne n’aurait en effet imaginé qu’il soit si proche de briguer un troisième mandat après avoir passé 580 jours derrière les barreaux (avril 2018 – novembre 2019), suite à un immense scandale financier pour corruption, dans le cadre de l’enquête « Lava jato. »
Le leader de gauche, alors déchu, a pris son mal en patience et a reçu en prison plusieurs centaines de visite, locales comme celle de Gleisi Hoffmann, la Présidente du Parti travailleur ou encore internationales (Jean-Luc Mélenchon en septembre 2019 par exemple). Pour espérer regagner un jour le palais présidentiel de l’Aurore et tenter de revenir au premier plan, il n’a jamais arrêté de s’intéresser à la politique, bien au contraire.
Défenseur d’un programme social et international, porté vers les jeunes et les précaires, il souhaite renforcer à nouveau la « protection sociale » comme il l’avait fait lors de ses deux premiers mandats. Tout comme « restaurer » l’aura du pays sur la scène internationale en renforçant les coopérations avec des pays sud-américains mais aussi africains. Il a aussi mis l’accent sur la protection de l’environnement. Ce dernier point a été l’une des catastrophes du bilan des quatre années au pouvoir de Bolsonaro, selon de nombreux experts brésiliens.
Déforestation accélérée des forêts dont celle de l’Amazonie, qui a récemment atteint son point de bascule, à tel point qu’elle rejette plus de CO2 qu’elle n’en capte ; baisse du budget des différentes organisations chargées de défendre l’environnement ; action contre les autochtones ; son bilan n’a guère été plus positif en terme de politique sanitaire. En effet, plus de 687 000 morts ont été recensés selon les derniers chiffres de l’Organisation mondiale de la santé.
Le tout porté par ses propos complotistes et ses multiples refus de confiner le pays, de rendre obligatoire le masque, déniant complètement la puissance du virus. En berne, l’économie ne se porte pas non plus très bien et 30 millions de Brésiliens souffrent de la faim avec la crise.
Des élections bien plus serrées que prévues, au coude-à-coude, sous forte tension
Début octobre dernier, les sondages donnaient alors la victoire à Lula dès la première manche du scrutin, après donc le mandat chaotique du Président sortant. L’élection du leader de la gauche apparaissait ainsi longtemps comme une formalité. Finalement, il n’en est rien.
L’actuel chef d’État a en effet créé la surprise en déjouant les pronostics et en s’adjugeant 43,2% des voix soit quasiment 10% de plus que ce qui était initialement attendu. Le septuagénaire est toujours affaibli par ses affaires, où pour de nombreux Brésiliens la corruption lui colle à la peau.
En superformance, Bolosonaro en a profité pour utiliser la figure du marathon lors de la publication des résultats du premier tour des élections, taillant le camp adverse qui ne s’était entraîné selon lui, qu’à “une course de 100 mètres. » Obligé de rattraper son retard, les dernières semaines ont été remplies d’animosité où l’atmosphère a donc considérablement gagné en tension, donnant lieu à une campagne “d’insultes, de coups bas, de mensonges éhontés« , pointait récemment du doigt le plus grand quotidien de Rio de Janeiro, Globo.
« Qui assiste à la campagne électorale peut penser qu’il s’agit d’un combat de MMA, tant est grand l’agressivité et la quantité de coups à gauche et à droite« , dénonçait un édito de ce même quotidien. De quoi donner une idée claire de l’ambiance, à l’approche du second tour des élections.
L’ultime débat télévisé diffusé vendredi soir, sur TV Globo, a été dans la continuité de ce qui s’est fait ces dernières semaines. Les deux candidats ont continué de s’alpaguer et de s’échanger coup sur coup des invectives toujours plus violentes, sans proposer de véritables solutions, ni défendre véritablement leur programme. « Ce type est le plus grand menteur de l’histoire du Brésil« , lançait Lula dès les premières minutes du débat diffusé sur la chaîne la plus regardée du pays.
“Jamais une campagne électorale dans l’histoire récente du pays n’avait été d’un niveau aussi faible », s’exaspérait récemment une habitante, dans Le Monde.
« Ce deuxième tour des élections est une tragédie. On n’a pas parlé du futur du Brésil. Le débat est arrivé au quatrième sous-sol. Impossible de descendre plus bas ! », déplorait également Mathias Alencastro, chercheur au Centre brésilien d’analyse et de planification, dans le journal français.
L’intense lutte contre la prolifération de fausses informations
Puisque la tension est à son comble et que les résultats se resserrent de plus en plus, tous les moyens ont été utilisés par les partis pour tenter de renverser les opinions. Parmi ces moyens, on y retrouve les fausses informations et les diffamations, qui se sont multipliées.
Cela a obligé le Tribunal supérieur électoral (TSE) de se doter d’un arsenal pour contrer leur diffusion. Une résolution a ainsi été votée, jeudi 20 octobre, pour lui permettre de supprimer tout contenu qui lui paraîtrait irrégulier. Les représentants des principaux réseaux sociaux doivent, à la demande du Tribunal dans les deux heures, effacer les publications fausses et diffamatoires, sous peine d’une amende avoisinant les 30 000€ par heure de dépassement si le délai n’est pas respecté.
Cette mesure, qui a enragé les partisans du Président sortant d’extrême-droite, la qualifiant de “censure”, est prise très au sérieux par le Tribunal, d’autant qu’une grande majorité de Brésiliens utilise des groupes WhatsApp pour suivre l’actualité des élections.
La désinformation peut donc très rapidement circuler et induire les électeurs en erreur. Bolsonaro lié au cannibalisme et à la pédophilie, Lula à la fermeture des Églises et à la légalisation du cannabis, les exemples ne manquant pas.
De possibles risques de débordement après la publication des résultats des élections
Si les sondages se concrétisent (53% en faveur du candidat de gauche contre 47%) et que Lula accède ainsi au pouvoir, les experts s’accordent à dire que Jair Bolsonaro ira contester le résultat, après avoir préparé le terrain pendant la campagne. “Il va essayer de réagir à une éventuelle défaite en disant qu’elle a été illégitime”, envisage Joao Feres, un enseignant à l’Université d’État de Rio de Janeiro, dans le Figaro.
Le système de vote électronique des élections qu’il a souvent remis en cause dans le passé, le qualifiant de « frauduleux » pourrait par exemple être un levier comme ses quelques dénonciations d’irrégularités envoyées au TSE de spots qui pas n’ont été diffusés à la radio.
Les Brésiliens craignent par conséquent un remake de l’assaut contre le Capitole (6 janvier 2021) par des groupes actifs, structurés et armés dans l’espace public, contre des militants de gauche. Il faudra au chef populiste avoir suffisamment de soutiens dans l’armée pour pouvoir le réaliser, ce qui n’est pas certain, selon les analystes.
« Cette course va se terminer sur le fil. Chaque vote va compter, je ne parierais pas sur le résultat des élections », concluait Brian Winter, rédacteur en chef d’un trimestriel politique à l’Agence France-Presse.
Face à cette incertitude et avec en plus ce qu’il s’est passé lors du premier tour, les observateurs partagent le fait que le faible écart pourrait tout à fait être à même de renverser la situation. Alors que les premiers résultats des élections tomberont vers 21h heure française, il est quasiment certain que la campagne politique ne s’achèvera pas ce soir.