La justice américaine a tranché aujourd’hui en revenant sur l’arrêt historique Roe v. Wade de 1973, qui reconnaissait le droit à l’avortement dans le pays depuis près d’un demi-siècle.
« Un retour en arrière ». C’est comme cela qu’a qualifié le premier ministre britannique Boris Johnson l’évènement historique qui s’est déroulé cette après-midi à Washington. La Cour suprême a mis fin ce 24 juin 2022 à la jurisprudence de l’arrêt Roe v. Wade, issu le 22 janvier 1973, « laissant libre le choix à chaque Etat de faire sa propre loi sur l’avortement ». Cette décision finale intervient un mois après une fuite par le site Politico d’un document attestant que « la Cour suprême a voté pour annuler le droit à l’avortement ». « Nous estimons que Roe [v. Wade] et [Planned Parenthood v.] Casey doivent être annulés » avait affirmé le juge Alito. En réaction à cette fuite, de nombreuses manifestations avaient été organisées, notamment à Washington.

Le Missouri a annoncé cette après-midi être le premier Etat à interdire le droit à l’avortement. Eric Schmitt, son avocat général, a posté une photo de lui sur Twitter en train de ratifier le texte qui met fin « véritablement » à l’avortement dans le Missouri. « C’est un jour monumental pour le caractère sacré de la vie » a-t-il déclaré. Et d’ajouter, « il y a eu beaucoup de travail en coulisses avant que nous n’obtenions cette incroyable victoire ». 50,9% des habitants de cet Etat sont des femmes, 49,1% sont des hommes.
🚨 BREAKING 🚨 Following the SCOTUS ruling overturning Roe v. Wade, Missouri has just become the first in the country to effectively end abortion with our AG opinion signed moments ago. This is a monumental day for the sanctity of life. pic.twitter.com/Jphy72R4rq
— Attorney General Eric Schmitt (@AGEricSchmitt) June 24, 2022
Au total, les Etats-Unis comportent environ 165 millions de femmes, dont leur vie et leur futur vont probablement changer dès aujourd’hui. Le Dakota du Sud a suivi les pas du Missouri en interdisant ce droit. Kristi Noem, la gouverneure républicaine de cet Etat, a annoncé que l’avortement était désormais illégal, en vertue d’une loi dite « gâchette » qui avait été rédigée à l’avance, pour entrer en vigueur automatiquement en cas de changement de jurisprudence, a-t-on appris auprès de l’AFP.
« La décision de Dieu »
« Les nouvelles en provenance des Etats-Unis sont horribles » a réagi Justin Trudeau.
Du côté du pouvoir américain, les réactions sont unanimes. Joe Biden s’est exprimé dans l’après-midi, en regrettant « un jour triste pour la Cour suprême et pour le pays ».
« Il est très clair que la santé et la vie des femmes de cette nation sont menacées » a-t-il ajouté.
Il a rappelé aux Américains que « avec [leur] vote, [ils peuvent] agir ». L’ex-président des Etats-Unis, Barack Obama, a dénoncé une « attaque des libertés fondamentales de millions d’Américaines ».
Le président sortant Donald Trump est quant à lui ravi : « tout le monde y trouvera son compte » a-t-il déclaré sur la chaîne conservatrice « Fox News ». « C’est conforme à la Constitution » et assure que « cela rend des droits [aux Etats] qui auraient pu l’être depuis longtemps ». Selon lui, « c’est la décision de Dieu ». Muriel Bowser, maire de Washington D.C. a rappelé que la ville est une « ville pro-choix », mentionnant que « l’accès à l’avortement est toujours légal » ici.
Washington, DC is a proud pro-choice city and access to abortion is still legal here.
This is about health care.
This is about women’s rights.
This is about bodily autonomy.
A majority of Americans believe in a woman’s right to choose. This fight is urgent but not over.
— Mayor Muriel Bowser (@MayorBowser) June 24, 2022
« Les nouvelles en provenance des Etats-Unis sont horribles » a réagi le premier ministre canadien Justin Trudeau sur Twitter.
« J’ai juste peur de l’inconnu »
Leah, 22 ans, est mitigée. « L’avortement devrait être un droit individuel, mais cela ne veut pas dire qu’il y a moins de « points de contrôle » : ce n’est pas comme un droit de vote ». Pour elle, le New Jersey – Etat où elle habite – « gardera sa loi d’origine, qui est celle de la législation de l’avortement ». « Je suis originaire de Californie, et c’est le même cas là-bas » ajoute-t-elle.
Du côté de la Pennsylvanie, Sarah*, 18 ans, est inquiète. « Quand j’ai entendu la nouvelle pour la première fois, je n’étais pas vraiment surprise… Mais j’étais quand même très en colère – je suis pro-choix. Ce devrait être ma décision d’avoir ou non un enfant, pas celle du gouvernement », lance-t-elle.
Comment les choses vont évoluer dans son Etat ? « Je veux penser que l’avortement pourrait encore être accessible. Le gouverneur ici a été un assez grand partisan de ce droit. Mais j’ai l’impression que l’avortement pourrait être restreint d’une manière ou d’une autre ». Pourquoi ça ? « Je ne sais pas. Je suis sûrement anxieuse, ou bien j’ai juste peur de l’inconnu ». Lorsqu’on lui rappelle l’histoire du droit à l’avortement en France, elle s’interroge : « Et les femmes en France ont ce droit ? J’espère que les femmes ici aux Etats-Unis n’arrêteront pas de se battre pour l’avoir », lance l’étudiante en biologie.
Du côté de Los Angeles, Alice, 22 ans, est du même avis. « Je pense que c’est une violation des droits des femmes ! L’avortement et les autres droits qui touchent à la reproduction devraient être des droits humains basiques et non des opinions politiques qui peuvent être changées et manipulées par ceux qui n’en ont rien à faire de nous en tant qu’êtres humains », assène-t-elle.
Alors que le pays est déjà profondément divisé sur la question du port d’armes, notamment en relation avec les fusillades récentes de Buffalo et d’Uvalde, la société américaine risque d’encore plus de se fracturer dans les semaines et mois à venir sur la question du droit à l’avortement.
* prénom modifié